Contre l'ordre moral : l'ordre Juste ! par Sophie Boucher-Peterson
Réponse aux amalgames de Chantal de Gournay
dans Libération du 19 octobre 2009
Par Sophie Bouchet-Petersen
Dans une tribune publiée ce lundi 19 octobre par Libération sous le titre « Majorité morale et déni des corps », Chantal de Gournay, sociologue de son état, affirme que Ségolène Royal aurait ouvert la porte à un ordre moral nauséabond par « son amalgame entre pédophiles et pédérastes ».
Il faut, si j'en crois la suite de ce texte d'allure faussement radicale mais, à y regarder de près, vraiment réactionnaire, entendre ici « pédéraste » comme se rapportant aux relations sexuelles concernant un(e) mineur(e) qui n'est plus dans l'enfance, par exemple « une adolescente pubère et une adolescente apte à la nuptialité ». Y range-t-elle l'adolescente de 13 ans que Polanski est accusé d'avoir violentée ? Il semble.
Madame de Gournay considère la sodomie imposée comme une circonstance atténuante pour celui qui l'a commise car il y a, estime-t-elle, pire que le viol : tomber enceinte à une époque où l'avortement était encore illégal ou contracter aujourd'hui le sida et l'hépatite. Pour avoir moi-même avorté à 16 ans bien longtemps avant que l'IVG ne soit légalisée, je sais combien la chose était alors difficile. Mais je ne confonds pas l'accident résultant d'un rapport consenti entre pairs, fussent-ils mineurs, avec l'abus de pouvoir d'un adulte forçant une très jeune fille à se plier à son désir et transgressant, ce faisant, le devoir de protection dû par ceux d'avant à ceux d'après. On ne peut confondre la symétrie des amours juvéniles, fussent-elles accompagnées d'un précoce passage à l'acte sexuel, avec la violence d'une confusion des places et d'un rapport forcément asymétrique quand un adulte dicte sa loi sexuelle à celui ou celle qu'il a les moyens de dominer physiquement ou psychologiquement. Je ne me suis, pour ma part, jamais pâmée devant les récits faisant l'éloge de la consommation adulte des « moins de 16 ans », titre d'un livre qui eut son quart d'heure de célébrité et moquait les cerbères maternels faisant rempart contre les prédateurs.
Ségolène Royal a eu raison de combattre énergiquement le crime pédophilique et, dans le même temps, de rendre accessible la pilule du lendemain, y compris sans autorisation parentale, aux jeunes filles mineures courant le risque d'une grossesse précoce. On s'en émut à l'époque. Elle tint bon.
Madame de Gournay n'aime pas « la chasse à l'homme » dont elle estime que Frédéric Mitterrand a été l'innocente victime. Sans doute n'a-t-elle pas entendu Ségolène Royal déclarer le 11 octobre, au Grand Jury RTL-LCI, qu'elle n'y joindrait pas sa voix, tout en rappelant sa totale condamnation du tourisme sexuel, ce privilège sordide du Nord sur le Sud, contre lequel elle renforça, lorsqu'elle était Ministre de la Famille, les sanctions pénales. Elle a eu également raison de refuser qu'il y ait deux justices, l'une pour les pauvres et les anonymes, l'autre pour les riches et les notoires.
Ségolène Royal n'a jamais prôné un ordre moral d'un autre âge mais un ordre juste où la libéralisation des moeurs et l'heureux affranchissement des carcans d'antan, hâté par les combats des féministes de ma génération, ne saurait être l'alibi des chasseurs de proie s'abandonnant à leurs pulsions en appelant libération la pure et simple soumission à un rapport de forces structurellement déséquilibré.
En ce sens, Michel Onfray, qui raconte avoir vécu quatre ans durant sous cette menace, a bien raison de dire, dans la même page de Libération, que « la morale n'est pas une affaire de moralisme benêt mais de justice sociale ».
Que d'amalgames, en vérité, dans le texte de Madame de Gournay qui mélange le respect du corps avec son déni et assimile toute la génération soixante-huitarde (dont je suis et sans remord mais pas Ségolène Royal, qui n'en avait pas l'âge) au crétinisme du « il est interdit d'interdire ».
Etrange, pour finir, cette prose qui prend la pose libertaire et s'accommode d'une petite fixette islamophobe qui, je l'avoue, m'irrite quelque peu les narines. Je préfère, pour ma part, la République métissée de Ségolène Royal et sa conviction maintes fois dite : ce qu'une génération doit à l'autre, c'est la limite.